E.T. or not, par Nicole Desjardins

Eva :

Et voilà, je bloque. Je ne suis pas mauvaise en dissertation mais cette-fois-ci, c’est compliqué, pour moi. « D’où je viens ? » Là est la question. Je regarde autour de moi, dans la salle de classe, mes copines écrivent, écrivent. Et moi, le blanc, le vide, le vertige ! Impossible de dire d’où je viens. Mes parents ont passé leur vie à déménager. Moi, je suis née dans une ville, où je n’ai jamais vécu, puis j’ai de vagues souvenirs par ci-par là d’endroits, de paysages, en fonction des garnisons de mon père. Et oui, mon père était militaire, toujours en route, toujours prêt. Pas à conquérir, non, heureusement, la guerre est finie, mais à obéir, ça oui, obéir. Et apprendre aux autres à obéir, aux jeunes recrues, aux appelés. Moi, je devais recommencer à chaque fois que l’on arrivait quelque part : tout apprivoiser, environnement, entourage, lieu de vie, lieu de classe, voisins, profs… Amis, surtout. Parfois, c’était difficile, j’avais l’impression d’arriver d’une autre planète.

Alors, aujourd’hui, c’est ça que j’ai envie d’écrire : D’où je viens ? D’une autre planète !

Je regarde par la fenêtre, il fait beau dehors et je suis là à sécher sur ma copie. De l’autre côté de la route, j’aperçois le cinéma. C’est amusant, cette coïncidence, il y a justement un film de science-fiction, ce soir. E.T. un film des années 80. Ah, j’en ai entendu parler, de ce film, il a marqué la jeunesse d’un tas d’adolescents. C’est vrai, qu’à l’époque, ils étaient moins dégourdis. Nous, à quinze ans, on sait déjà tout, merci internet. Est-ce que il ne va pas nous sembler ringard, cet E.T., à nous, ados du 21ème siècle ?

E.T:

Comment ça, ringard ? C’est toi qui es ringarde ! Ce mot-là n’existe même plus… C’est quand même fou que ce soit moi, un extra-terrestre qui doive te tenir au jus !

Eva :

Ne te fâche pas, Monsieur l’Extra-T ! Je ne voulais pas te vexer ! En fait, je me disais qu’on avait beaucoup de points communs, toi et moi.

E.T :

Et ?

Eva :

Et je rame sur cette dissertation. D’ailleurs, je rame dans ma vie, je ne sais pas d’où je viens !

E.T:

Mais tu sais qui tu es,  non ? N’est-ce pas l’essentiel ?

Ton être, c’est ton bagage,
Naître est déjà un voyage
Toi, où que tu sois sans toit
C’est toujours le bon endroit.

Mais on ne prend pas la route
Sans appréhensions et doutes
Or, pavés et horizons
Sont bel et bien ta maison.

La demeure de ton âme
Ce sera toujours ta flamme
Car le cœur de ta maison
C’est ta vie et ta raison.

Silence.

Ça va, Eva ? Tu ne dis rien !
Basta ! Tiens !
Tu n’auras pas les pétoches
Je te donne ma lampe de poche.

Eva relève la tête. Sur l’affiche du cinéma d’en face, E.T. lui adresse un malicieux clin d’œil.


Comédienne et metteur en scène, directrice artistique, Compagnie Vue sur Jardin. Chant, danse, mime.
Autrice (membre des Eat et d’Eurodram). Traductrice allemand.
Réalisatrice et scénariste (courts-métrages)

http://www.cievuesurjardin.com/