Rouge(s), par Cécile Mouvet

Sur scène, des escarpins rouges à Jardin. Côté Cour, une chaise rouge vieille et abimée.
Bruit d’escarpins sur le sol.
La comédienne essoufflée arrive en jean et basket. Elle porte une casquette rouge et se place entre les deux objets.  

Estelle : Ma mère porte toujours des talons hauts. Ma mère, elle a du caractère, c’est une femme qui a de l’altitude. Je ne lui ressemble pas. Elle regarde ses baskets.

Un jour je lui ai piqué une paire de chaussures. Du haut de 7cm, j’ai eu le vertige de ma vie, mes chevilles ont déclaré forfait. Je me suis effondrée. Il paraît que ça s’apprend, marcher. Moi, je crois que soit ma mère est née avec ses talons aux pieds, soit elle a du apprendre deux fois à marcher, une fois bébé et une fois quand elle est devenue une madame.

Bruits d’avions. Estelle part en courant vers les escarpins. Noir.

Seuls les talons se rallument. Estelle est à côté.

Estelle :  M’man ? Est-ce que tu essayais les chaussures de ta mère quand t’étais petite ? Pourquoi elle vient jamais grand mère ?

La comédienne enlève la casquette, enfile les escarpins, devient la mère. 

La mère : Estelle, je t’ai déjà dit, ta grand mère ne peut plus marcher. La lumière sur la vieille chaise rouge. C’est pour ça qu’elle ne vient pas. Et chez ta grand mère, il y a trop de neige pour qu’on puisse circuler avec des chaussures normales. Je ne supporte pas les bottes.

La comédienne quitte les chaussures. Remet la casquette.
Noir. Bruit d’avions. Estelle au centre de la scène.

Estelle : Ma mère et ma grand mère ne se parlent plus. Alors ma mère m’envoie voir ma grand mère. C’est comme ça que ça se parle dans la famille. Par avions interposés.

Chez ma grand mère, il y a toujours beaucoup de neige. J’aime bien aller la voir, ma grand mère c’est quelqu’un de posé, elle a les pieds sur terre. Pas comme ma mère. Ma grand mère, quand elle me voit, le rouge lui monte aux joues, ça veut dire qu’elle est contente. Je traduis avec mes mots à moi ce qu’elle ne dit pas. Ma mère aussi elle rougit, quand mon père l’embrasse. Et moi aussi je rougis, quand je suis devant la classe. C’est de famille.

Noir. Bruit d’avions. Lumière sur la chaise, Estelle est à côté.

Grand mère, je suis contente ! T’as l’air… T’as l’air vieille mais tu tiens le coup on dirait ! Maman, n’a pas pu venir non… Elle m’a donné quelque chose pour toi, des biscuits bretons ! Et tu peux aussi les tremper, ça devient tout mou, si t’as plus assez de dents.

La comédienne s’assoit sur la chaise, devient la grand mère. Mange un biscuit, souris. Elle a le rouge qui lui monte aux joues.
Noir. Sons d’avions. Estelle au centre de la scène. 

Estelle : C’est comme ça dans la famille, entre deux avions, on se parle par générations interposées.


Cécile Mouvet est metteure en scène, autrice et enseignante de théâtre. Elle travaille pour la compagnie Un Pavot dans la Mare et contribue à des créations pour d’autres compagnies.